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Un ou deux jours après le dernier encadrement de la saison aux Glénans, moi et Guillaume, un ami avec qui j'avais bossé une bonne partie de l'année, partons en train vers Port Saint-Louis du Rhône, où Shipibo est posé sur bers depuis quelques mois. En dehors des dix minutes de navigation par pétole lors de l'achat, ce sera la premiere fois sur notre bateau, mais une grosse première! En effet, le but est de ramener Shipibo à Port-Joinville (Ile d'yeu), où Axèle commence son année scolaire. Pour Guillaume et moi, ce sera aussi de nouvelles expériences, avec entre autres la navigation en méditerranée, que nous n'avons pratiquée qu'une semaine sur l'étang de Thau. Nous partons également un peu tard dans la saison, et nous avons un peu peur de devoir attendre longtemps pour avoir des fenêtres météo permettant de passer le Golfe du Lion, Gibraltar ou le golfe de Gascogne. Nous avons de plus la pression pour arriver vite, car Axèle n'a pas encore de logement fixe et attend Shipibo avec impatience.

Nous passons quelques jours à Port Saint-Louis pour préparer le bateau : passage des drisses, remplacement du rouet de pompe à eau du moteur et installation du régulateur. Nous avons aussi du travail sur les voiles, qui sont rincées après leur tour du monde. Mais après quelques coutures et autres remplacements de mousquetons, Shipibo nous semble paré.

La mise à l'eau est l'occasion du premier petit pincement au coeur, mais tout se passe bien.


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C'est le moment de la première manoeuvre de port (pour se rapprocher du supermarché) et de la découverte du pas d'hélice de fou du bateau. Une fois le magasin dévalisé, un peu de materiel acheté (pharmacie...), et l'annexe gonflée sur le pont pour pallier à l'absence de radeau, nous voilà fin prêts. La météo annonce un coup de vent de mistral, avant de la pétole. Nous décidons de profiter du mistral, malgré sa force, pour nous rapprocher de l'Espagne.

Le vent de travers dans le canal nous amenant vers la mer me fait hésiter à sortir. J'imagine le moteur caler pour une raison x ou y à dix mètres au vent des enrochements, avec pour conséquence, la fin du trajet. Mais bon, aucun problème, nous pouvons commencer à slalomer entre les pétroliers attendant d'entrer à Fos, à plus de six noeuds sous tourmentin seul.

Je peux alors apprécier la puissance du bateau dans les vagues avec ce vent, au moins on n'a pas peur du bateau dans un coup de vent! Peu après le départ, l'eau change brusquement de couleur, et le sondeur remonte à trois mètres, on a beau savoir que c'est impossible, on se pose des questions! Au long du voyage, nous nous rendrons compte que par plus de 50 mètres de fond, le sondeur se tape des délires. Grosse première journée, avec au bout une belle avancée qui ne nous fait pas regretter notre option météo.

Suivent quelques jours de vents contraire, où, suite à un montage défectueux du régulateur d'allure, nous devons barrer chacun douze heures par jour. Dur.

Nous réglons enfin le problème du régulateur d'allure, Guillaume est dehors, tout se passe bien. Ensuite, rapidement avec le début de mon quart, le vent tombe, et les nuages que nous voyons bourgeonner depuis quelques heures deviennent menaçants. Le vent devient alors nul, j'affale la voile d'avant pour éviter qu'elle ne batte. Rapidement les éclairs pleuvent à proximité du bateau. Il fait nuit, puis plein jour pendant une seconde. Le tonnerre suit immédiatement, on voit bien que les impacts sont très proches du bateau. Le fait de ne plus avancer du tout au milieu de ces orages rend la situation stressante. Là, à par subir et espérer ne pas avoir de malchance, on est dans l'attente, et c'est désagréable. En plus, j'étais en train de lire Moby Dick, qui est un livre assez mystique, et cela me mettais encore plus dans l'impression d'impuissance face aux éléments. La situation se calme au changement de quart. La soirée suivante, le vent revient, le bateau avance bien, Guillaume se fait plaisir au portant dans les vagues sous GV seule. Au changement de quart, je me dit que je préfèrerais être sous voile d'avant, mais ayant confiance en mon coéquipier, je ne change pas la toile tout en n'en étant pas satisfait. Le vent monte et nous nous retrouvons vite sur-toilés, la bôme plante deux fois dans l'eau. Le vent continue de monter rapidement, nous affalons la G.V entre Alicante et les Baléares. Durant la manoeuvre, la voile se déchire sur un mètre cinquante au dessus du troisième ris, nous continuons donc sous tourmentin seul, entre 6 et 7 noeuds de moyenne.


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La nuit, les orages sur Alicante semblent un vrai bombardement. Sous la flotte, avec quelques vagues mourrant dans le cockpit, on adore le régulateur et la capote qui nous permettent de veiller au sec. Nous arrivons au petit matin à Carthagena, où nous découvrons les ports espagnols où à n'importe quelle heure un employé du port vient prendre une aussière et donner une place. Comme ça, ça semble cool, mais fatigué, ne parlant ni ne comprenant un mot d'espagnol, ça rend la manoeuvre assez chiante, surtout que je ne me sentais pas vraiment diplomate après avoir bêtement déchiré la GV. Enfin, après quelques temps nous voilà amarrés et prêts aux démarches administratives. Celles-ci sont plus contraignantes que les anglaises, les seules que nous connaissions. A chaque passage dans un port, il fallait ainsi présenter une pièce d'identité, l'acte de francisation et l'assurance du bateau.Cette dernière m'étant envoyée en catastrophe par Axèle via internet. L'heureuse nouvelle c'est que nous trouvons un voilier prêt à nous réparer la GV dans la journée, ce qui nous arrange, car après c'est un long week end. Le gars qui vient récupérer la voile est super sympa et parle français, ça facilite les explications. On fait du tourisme, quelques courses et c'est reparti.

La navigation jusquà Gibraltar se révèle rapidement pétoleuse, nous faisons donc pas mal de moteur, entre autres pour rester manoeuvrant avec le trafic impressionnant le long de la cote espagnole. Nous sommes habitués à traverser la Manche, où il y a également un gros traffic, mais le long de l'Espagne, on longe les rails, ce qui demande pas mal d'attention, surtout aux alentours du détroit où le passage de navettes rapides pour le Maroc est assez intense. Heureusement nous avons très souvent des dauphins autour de Shipibo, qui partent dès qu'on coupe le moteur. Le passage de Gibraltar se fait toujours au moteur et dans la brumasse. Dommage, j'aurais bien vu un petit lever de soleil sur le fameux rocher. A la sortie on a un peu envie de tourner à gauche pour faire coucou à l'Afrique dont on voyait les lumières la veille, mais bon, ça sera pour la prochaine fois! Après le détroit, on se tape quelques heures où on n'avance quasiment pas malgré 10-12 noeuds de vent et appui moteur. Nous avions un peu sous estimé le courant aux alentours de Gibraltar, qui nous donne presque l'impression d'être retournés à Paimpol. Nous décidons de faire un stop à Barbate, surtout pour donner des nouvelles et reprendre une météo. Là, au téléphone c'est le début d'une longue série de « vous n'en êtes que là ?» qui commence et qui durera jusquà la fin du voyage avec pétole et vents contraires.

Prochain arrêt à Portimao au Portugal, alors que nous espérions aller d'une traite à Lisbonne, mais bon, marre du moteur, et le 5 noeuds de vent plein axe avec l'état de nos voiles nous rend dépressif (avancer à 1,5 noeuds à 80° de la route, c'est dur quand on a la bête sensation de devoir arriver vite).

Toujours des conditions un peu pourries. D'abord pétole avec une bonne houle de travers, dans laquelle le bateau roule dans tous les sens sans vent pour le tenir. Ensuite 30 noeuds dans le pif (là on gratte un peu un RM, ça fait plaisir), conditions dans lesquelles Shipi se révèle vachement plus agréable à vivre, alors qu'il n'y a presque plus personne sur l'eau, cool !

Prochain arrêt, Povoa de Varzim on se pose des questions à l'arrivée avec une corne de brume super forte qui se révèlera celle du phare de la digue (pas notée sur notre carte). La grosse houle qui vient s'éclater sur les enrochements avec ce temps de demoiselle ne donne vraiment pas envie de rentrer ici avec une cartouche d'ouest ! Là, on déconne vraiment, on pourrait aller en métro à Porto et au lieu de ça, on passe notre temps à regarder les fichiers grib, nous dire qu'on part bientôt et en fait attendre une meilleure fenètre quand c'est trop tard pour Porto , trop cons ! Par contre on y rencontre le père de Sophie (ancienne propriétaire du bateau) qui a la place juste à coté de nous. De plus, il est sur le point de retourner voir les anciens Shipibo en Suisse pour la première fois depuis leur retour. Sympa, ils auront des nouvelles fraiches de la bête.

On repart enfin, en espérant faire un dernier stop à la Corogne. Nous repartons en slalomant entre les casiers qui sont parfois masqués par la longue houle jusqu'au dernier moment. Le début d'étape est tranquille, mais le petit coup de vent prévu se lève largement avant que nous n'ayons passé le cabo finisterre, et rapidement nous nous disons que nous allons en fait nous dérouter sur Portosin. Par contre, l'antenne VHF s'est décrochée et deux soudures du régulateur d'allure ont laché. A Portosin on se sent presque de retour en France, il y a de la bruine, et la côte semble moins ravagée par les barres d'immeuble que précédemment.

Nous décidons après deux jours de partir, la fenêtre météo semblant ne pas être mauvaise pour le golfe de Gascogne. Suivent trois jours de route enfin directe sur l'ile d'yeu, presque sans moteur. Nous avons décidé de ne pas tirer sur le régulateur, nous barrons donc quand nous sommes sous voile ou nous sommes sous pilote au moteur. Nous arrivons à l'ile d'yeu en début de nuit après avoir failli se prendre un dernier casier dans l'hélice à l'entrée de Port-Joinville.


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Nous y retrouvons Axèle qui commençait à s'inquiéter car un coup de vent arrivait. En effet, deux jours après notre arrivée, c'était le coup de vent qui mettait la flotte au départ du Vendée Globe à mal.

Ce premier voyage a été riche en enseignements. Tout d'abord, il a permis de mieux cerner les capacités du bateau. Si ce n'est pas une bête de près et de petit temps, il a tout de même un comportement correct dans ces conditions, tout en étant sécurisant dans des vents relativement forts. Ainsi, nous faisions presque plus de gain au vent avec 35 noeuds qu'avec 15. Plutôt rassurant si un jour on se tape un coup de vent en étant au vent de la côte. Ce convoyage nous a également poussé à renouveler la garde-robe du bateau. Nous y avons également apprécié l'équipement d'un bateau de voyage, avec par exemple la capote à propos de laquelle nous avions quelque bêtes préjugés de voileux, « c'est moche, ça fait du fardage ». Dorénavant, la nécessité de confort de la personne en quart nous semble plus importante que le fardage que cet équipement implique, on n'est pas en course.

De plus, nous avons pris conscience de la difficulté de naviguer à deux personnes de même niveau. En effet, j'ai fait plus de bêtises en navigant avec Guillaume que quand j'avais des stagiaires débutants. Se dire que l'autre est aussi compétent que soi a rendu chacun un peu moins vigilant, a reculé certaines prises de décisions. Cela va être un sujet important à régler pour que Axèle et moi puissions naviguer efficacement et agéablement ensemble.

Enfin et surtout, ce retour nous a bien montré à quel point en voyage il faut se laisser du temps quand on veut aller à un endroit précis. Se sentir pressé est un bon moyen de prendre de mauvaises décisions, et surtout de ne pas profiter du trajet et des étapes, comme ce fut notre cas.


 

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